Larval dispersal and life cycle in deep-water hydrothermal vents : the case of Rimicaris exoculata and related species

Les écosystèmes hydrothermaux profonds hébergent des communautés présentant de fortes biomasses, issues de l’activité chimiotrophique des microorganismes, avec de nombreux exemples d’associations symbiotiques entre ces derniers et les organismes de la mégafaune dominante. La connaissance du cycle de vie de ces espèces, y compris de leurs symbiontes, et de la façon dont elles sont capables de disperser et de coloniser de nouveaux sites est incontournable pour la compréhension du fonctionnement des communautés hydrothermales.

Dans cette étude, sont présentées de nombreuses avancées portant sur la distribution, la reproduction, la dispersion et le cycle de vie d’une espèce dominante des écosystèmes hydrothermaux de la dorsale Médio-Atlantique, la crevette alvinocarididé Rimicaris exoculata, et des espèces proches. Les outils méthodologiques utilisés incluent la description morphologique de larves, l’étude de la structure de populations et de leur état de reproduction, des approches moléculaires appliquées à l’identification des espèces via la reconstruction phylogénétique, la génétique populationnelle et l’étude de la diversité bactérienne. La plupart des observations et analyses ont été réalisées grâce aux prélèvements de la mission BICOSE qui s’est déroulée de Janvier à Février 2014 sur la dorsale Médio-Atlantique.

L’analyse morphologique détaillée des premiers stades larvaires (zoé I) de quatre espèces d’Alvinocarididae (R. exoculata, Mirocaris fortunata, Nautilocaris saintlaurentae et Alvinocaris muricola), indique une combinaison de traits caractéristiques de cette famille et unique parmi les crevettes Caridés. Le premier stade larvaire lécithotrophe présente vraisemblablement une durée de développement prolongée, avec une transition vers la planctotrophie au cours des stades ultérieurs. La capture de ces larves près du fond suggère par ailleurs une dispersion bathypélagique.  

L’étude réalisée sur les populations de R. exoculata des champs hydrothermaux de TAG et Snake Pit met en évidence une ségrégation spatiale des sexes et des stades de vie. Les femelles, les sub-adultes et les juvéniles occupent la paroi des fumeurs actifs, tandis que les mâles se retrouvent majoritairement dispersés à la périphérie inactive des sites. L’identification de plusieurs cohortes d’individus, retrouvées au niveau des habitats des deux champs hydrothermaux indique par ailleurs un recrutement discontinu. Enfin, l’observation, pour la première fois, d’un grand nombre de femelles gravides sur les deux champs hydrothermaux, suggère une reproduction saisonnière, avec quelques différences mineures en terme de fécondité entre les populations des deux champs.

Les embryons portés par les femelles jusqu’à l’éclosion des larves sont exposés aux fluides hydrothermaux. Nos résultats, encore partiels, d’analyses par clonage d’assemblages bactériens se développant sur les œufs au cours de cette phase d’incubation indiquent une spécificité qui pourrait être le reflet d’une fonction symbiotique s’établissant à un stade précoce du cycle de vie de la crevette. La similarité de ces assemblages bactériens avec ceux colonisant le céphalothorax des crevettes adultes, suggère un possible rôle de détoxification et/ou de nutrition.

Enfin la découverte, sur TAG, d’importantes « nurseries » de post-larves appartenant à R. chacei, espèce cohabitant avec R. exoculata mais relativement peu abondante, pose la question de l’origine de ce recrutement. Cette question s’inscrit également dans le débat taxonomique récurrent des délimitations d’espèces chez les Alvinocarididés. Ainsi, de récents travaux de génétique suggèrent que R. chacei pourrait être identique à R. hybisae, une espèce des sites hydrothermaux de la Ride des Caïmans, qui paradoxalement, présente une écologie et un développement symbiotique beaucoup plus similaire à celui de R. exoculata que de R. chacei.  Nos analyses de génétique populationnelle et une reconstruction phylogénétique réalisée avec plusieurs gènes suggèrent que R. chacei et R. hybisae  représentent bien deux lignées distinctes, issues d’un événement de spéciation récent. Nous suggérons également que le recrutement massif de post-larves de R. chacei pourrait refléter un modèle de dispersion larvaire « en pool », où la durée de vie larvaire prolongée permettrait la formation d’un pool de larves planctoniques, lieu de brassage génétique entre les différentes populations adultes benthiques.

La portée de ces résultats et les perspectives de recherche sont discutés concernant en particulier la dispersion et la phase larvaire des alvinocarididés, le développment de la symbiose aux différents stades de vie, la caractérisation des différents habitats occupés par ces stades de vie, et les processus évolutifs associés à la spéciation chez Rimicaris.